Retrouvez l'actualité des "Dames du Chemin " sur une nouvelle page


31 août 2013

BLEUS HORIZONS de Jérôme GARCIN






«Le 8 septembre 1914, Jean reçut sa feuille de route. Il la baisa, la caressa, la respira. Il pleura aussi, mais de joie en lisant et relisant sa convocation. Car il était attendu, deux jours plus tard, à la caserne de Libourne où il partit avec cette ferveur que mettent les pèlerins à rejoindre Saint-Jacques-de-Compostelle, cette naïveté des enfants qui rentrent chez eux après des vacances en colonie. Le garçon que je rencontrai pour la première fois était heureux et si plein d'idéal qu'on l'eût dit inconscient du danger. Il ressemblait plus à un chevalier des croisades qu'à un soldat et attribuait à la protection de Dieu son invincibilité. Pourtant, il n'avait plus que deux mois à vivre. C'est quoi, deux mois? Huit semaines, soixante jours, une broutille, un coup de vent, le temps d'un soupir, une éternité.»


Jérôme Garcin  nous décrit l'amitié fictive de Jean de la Ville de Mirmont avec Louis Gémon son compagnon de tranchée qui bien que blessé survivra à cette épouvantable Grande Guerre.  Comment pourra t-il oublier la mort tragique de ce dernier,véritable gisant en action, les reins brisés, enseveli par la boue du Chemin des Dames ? Pour continuer à vivre, à survivre à cette boucherie à ciel ouvert, le narrateur va chercher une raison à pouvoir tenir debout. Et cette raison est de perpétuer le souvenir de son ami et poète Jean de la Ville de Mirmont.

Alors commence, le pèlerinage à la mémoire de Jean.

 
A travers la plume empathique et sensible de Jérôme Garcin, le narrateur va remonter le temps, marcher sur les pas de ce jeune homme qui rêvait d'horizons lointains, pour conjurer la perte de l'être cher et l'absence.
Son idée première tourne à l'obsession : comprendre la genèse de l'œuvre  et  faire reconnaître ce talent que la guerre a su briser dans l'œuf.

Sa vie va lui être toute entière consacrée au dépend de sa vie personnelle auprès d'une femme qui aurait su l'aimer.   Jean n'a d'intérêt que pour ce "fantôme encombrant". Entretenir sa mémoire c'est ne pas l'enterrer deux fois, c'est oublier cette mort absurde et grotesque.
 
Entretien déroutant et teinté d'amertume malgré les promesses de publication fournies par l'éditeur Bernard Grasset  dont le comportement flirte avec celui de l'embusqué ...
 
Emouvantes rencontres avec le compositeur Gabriel Fauré ( miné par la surdité) qui aura mis en musique  "l'horizon Chimérique " et l'ami du poète François Mauriac à qui il avait inspiré le titre  Les Mains jointes (recueil de poèmes).


 "J’ai cru que je survivais à Jean, mais la vérité, c’est que je me suis tué pour lui. Je lui ai tout sacrifié, au point d’en oublier de respirer. Je n’ai pas réussi à écrire parce que je passais mon temps à le relire. J’ai préféré son passé à mon avenir. Il a été mon jumeau de guerre, mon double idéal, et je ne suis jamais parvenu à en faire le deuil. »

Et si à travers cette quête, Louis ne cherchait- il pas à masquer ses remords d'être toujours vivant ?


Bleus Horizons, par Jérôme Garcin. Gallimard, 220 p., 16,90 euros.

J'ai lu cet excellent roman sensible et magnifiquement écrit grâce à deux fils parus sur le forum 14-18 et notamment ici

Aucun commentaire: