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12 août 2011

Le Grand Troupeau de Jean Giono


"La nuit d'avant, on avait vu le grand départ de tous les hommes. C'était une épaisse nuit d'août qui sentait le blé et la sueur de cheval. Les attelages étaient là dans la cour de la gare. Les gros traîneurs de charrues on les avait attachés dans le brancards des charrettes et ils retenaient à plein reins des chargements de femmes et d'enfants. (...)

Le train doucement s'en alla dans la nuit : il cracha de la braise dans les saules, il prit sa vitesse. Alors les chevaux se mirent à gémir tous ensemble...Le vieux berger était déjà loin, là-bas dans la pente. Ça suivait tout lentement derrière lui. C'étaient des bêtes de taille presque égale serrées flanc à flanc, comme des vagues de boue, et, dans leur laine il y avait de grosse abeilles de la montagne prisonnières, mortes ou vivantes. Il y avait des fleurs et des épines; il y avait de l'herbe toute verte entrelacée aux jambes. Il y avait un gros rat qui marchait en trébuchant sur le dos des moutons. (...)

C'étaient des bêtes de bonne santé et de bon sentiment, et ça marchait encore sans boiter. La grosse tête épaisse, aux yeux morts, était pleine encore des images et des odeurs de la montagne. Il y avait, par là-bas devant, l'odeur du bélier maître, l'odeur d'amour et de brebis folle; et les images de la montage. Les têtes aux yeux morts dansaient de haut en bas, elles flottaient dans les images de la montagne et mâchaient doucement le goût des herbes anciennes : le vent de la nuit qui vient faire son nid dans la laine des oreilles et les agneaux couchés comme du lait dans l'herbe fraîche, et les pluies !...



Véritable plaidoyer contre la guerre Jean Giono ouvre son roman avec ce grand troupeau qui dévale la montagne alors que la veille les hommes du village sont partis faire la guerre.
En lisant cette description, on compare ce troupeau à la horde de fantassins que la nation a envoyé à la boucherie de 14-18. Des hommes dans la fleur de l'âge qui partent avec le sentiment de défendre leur pays. La guerre sera courte donc autant partir vite. On va en découdre avec Guillaume...Hélas, ils ne reviendront pas à la Noël et la liste de ceux tombés pour la France va s'allonger...
 
Commence l'angoisse des femmes qui trompent leur attente en se lançant tête baissée dans le travail aux champs, souvent, dévolus aux hommes...
 
Un roman qui se termine sur une note d'espérance : un petit d'homme est né. Son père est revenu de la guerre mais à quel prix ? Le lecteur comme le papé ne jugera pas cette mutilation volontaire..
 
Le berger prend l’enfant dans ses bras en corbeille.



Il souffle sur la bouche du petit.


« Le vert de l’herbe », il dit.


Il souffle sur l’oreille droite du petit.


« Les bruits du monde », il dit.


Il souffle sur les yeux du petit.


« Le soleil. »


« Bélier, viens ici. Souffle sur ce petit homme pour qu’il soit, comme toi, un qui mène, un qui va devant, non pas un qui suit. »


« Et maintenant, à moi.


« Enfant, dit le berger, j’ai été pendant toute ma vie le chef des bêtes. Toi, mon petit, par la gracieuseté de ton père, je viens te chercher au bord du troupeau, au moment où tu vas entrer dans le grand troupeau des hommes, pour te faire les souhaits.


« Et d’abord, je te dis : voilà la nuit, voilà les arbres, voilà les bêtes; tout à l’heure tu verras le jour. Tu connais tout.


« Et moi j’ajoute :


« Si Dieu m’écoute, il te sera donné d’aimer lentement, lentement dans tous tes amours, comme un qui tient les bras de la charrue et qui va un peu plus profond chaque jour.


« Tu ne pleureras jamais la larme d’eau par les yeux, mais, comme la vigne, par l’endroit que le sort aura taillé et ça te fera de la vie sous les pieds, de la mousse sur la poitrine et de la santé tout autour.


« Tu feras ton chemin de la largeur de tes épaules.


« il te sera donné la grande facilité de porter souvent le sac des autres, d’être au bord des routes comme une fontaine.


« Et tu aimeras les étoiles !


- Brave, dit sourdement le grand-père.


- Il va prendre froid.


- Laisse, femme, laisse. Il faut que nous lui fassions voir tout de suite ce que c’est, l’espérance ! »



Un livre à découvrir, à lire, relire...


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